Blog de l'écopraticien

Choisir son dentifrice bio

by 20 mars 2021

Dr Philippe MOOCK – Dentoscope n°232

Quels ingrédients et quels labels pour une hygiène bucco-dentaire écologique ?

Selon le journal LSA (juin 2019), les offres naturelles et bio grignotent du terrain dans le marché du dentifrice qui représente près de la moitié du chiffre d’affaires total des produits d’hygiène bucco-dentaire (500 M€). Les dentifrices bio obéissent pour la plupart à des cahiers des charges tels ceux de NaTrue, BDIH, Ecocert Cosmos [1]. Cosmos certifie l’origine naturelle des ingrédients (au moins 95 %) et via sa version Cosmos Organic, celle de l’origine biologique des ingrédients du produit (au moins 10 %). Pensez à comparer ces données sur l’emballage directement en restant vigilants aux allégations santé et marketing. Dans les rayons de grandes surfaces, Carrefour propose des produit CosmosBio au fluor (environ 10 % d’ingrédients bio).

D’autres « majors » proposent des dentifrices labellisés bio peu chers : initiatives populaires et économiques, mais avec une face moins verte car des ingrédients controversés y sont encore présents. Ainsi, Signal propose une gamme de dentifrices Signal Bio, certifiée, (11 % du total en bio) avec la présence de sodium lauryl sulfate, ingrédient controversé). Henkel propose Vademecum Bio Protection complète (10 % en bio) avec la présence de dioxyde de titane lui aussi controversé. A contrario, Dentavie Protection complète contient 99 % d’ingrédients d’origine naturelle dont 22 % en bio, le Tube Tropical Melody contenant 99 % d’ingrédients naturels dont 42 % en bio.

Dans le marché du dentifrice bio, l’on constate que de nombreux fabricants « verts » ont fait le choix du bio sans fluor, arguant que « si vous n’avez pas de prédisposition
aux caries, le fluor n’est pas obligatoire pour une bouche saine ! ». Le pouvoir des influenceurs(euses) du secteur cosmétique par les réseaux sociaux est immense et dépasse les consensus professionnels sur le fluor. À nous praticiens de faire preuve de sens clinique et de discernement lors de conseils au patient sur le choix d’un dentifrice, l’aspect mécanique du brossage et l’efficacité des gestes restant bien sûr primordiaux.

 

INFO ? INTOX ?

Un dentifrice bio, cela a mauvais goût ?

Sans agents moussants, sans épaississants, ni arômes artificiels, la texture et le goût d’un dentifrice bio peuvent être surprenants. Ce n’est pas un goût « artificiel » et typé des dentifrices industriels, mais plutôt rafraîchissant.

Le carré coloré vert sur un tube signifie-t-il « naturel » ?

Fausse information, car ce carré de couleur ne fournit aucune indication sur la composition des dentifrices ; c’est juste un système de repérage sur la chaîne de production.

Le charbon comme dentifrice végétal, blanchissant et préventif ?

Des dents plus blanches en quelques brossages au charbon végétal actif : la promesse est alléchante. Obtenu en calcinant du bois ou d’autres végétaux riches en carbone, puis en les refroidissant subitement, le charbon actif a la propriété de retenir certaines molécules.

Notre conseil : mieux vaut éviter malgré un succès commercial (pâte, poudre, sur des
filaments de brosse) sur les réseaux sociaux et émissions de téléréalité : ils sont trop abrasifs surtout en utilisation quotidienne avec un risque de lésions carieuses. De plus, ce charbon actif semble absorber le fluor (quand il est présent) et certaines huiles essentielles présentes dans les compositions de dentifrices annihilant un effet cario-protecteur [2, étude anglaise].

Les dentifrices solides, c’est écolo ?

Favoriser le “zéro déchet”, et privilégier les substances naturelles, tout cela est séduisant. Malheureusement à ce jour, nos tests sur les compositions et textures même en bio, sont décevants. L’humidité des salles de bains ne fait pas bon ménage au niveau conservation et utilisation hygiénique de ces produits. Cela reste en l’état un piste d’avenir.

Qui dit bio, dit totalement exempt de substances toxiques ?

Concrètement, de nombreuses molécules toxiques sont exclues de la composition des dentifrices bio par les cahier des charges des labels : ceux-ci doivent encore évoluer dans l’intérêt des consommateurs pour la prévention de la santé environnementale. Quelques conservateurs sont autorisés et la présence d’allergènes (même bio) est possible, compte tenu de l’usage fréquent des huiles essentielles.

Que devez-vous repérer dans la composition d’un dentifrice ?

  • Dioxyde de titane : ce colorant blanchisseur se cachant sous l’appellation “CI 77891” est une substance dont les nanoparticules pénètrent particulièrement dans l’organisme et sont largement soupçonnées d’effets cancérogènes et d’action sur le système immunitaire. Comme tout perturbateur endocrinien, il faut veiller à protéger essentiellement les enfants et femmes enceintes de ces substances.
  • Tricolsan : ce puissant antibactérien est classé perturbateur endocrinien probable. Il est également suspecté de favoriser le développement d’antibiorésistance.
  • Parabènes : ces conservateurs antimicrobiens présent dans certains bains de bouche sont perturbateurs endocriniens (sur la liste noire de Cosmebio).
  • SLS sodium lauryl sulfate : ce tensioactif fait mousser et assure l’effet détergent du dentifrice ; il est potentiellement cancérogène. A savoir : les fabricants auront l’obligation d’informer les consommateurs sur la présence éventuelle de perturbateurs endocriniens dans leurs produits à compter du 1er janvier 2022.

Comment détecter ces composants nocifs et agir ainsi pour la santé environnementale ?

Lire les étiquettes

Les ingrédients sont placés dans un ordre bien précis : en tête le plus concentré et ainsi de suite jusqu’au moins concentré. Les ingrédients sont mentionnés en latin (naturels) et en anglais (chimique). Les colorants, naturels ou non, sont repérables par le sigle CI (Color Index) suivi d’un nombre à 5 chiffres.

Les listes et applications d’hygiène

Sans que cela soit encore totalement parfait (les formulations évoluant fréquemment), des organismes (Que choisir, [3], 60 millions de consommateurs, [4]), des associations (Agir pour l’environnement, [5]) et des applications mobiles (Yuka, INCI Beauty, CleanBeauty) vous informent avec des codes couleurs sur la présence d’éventuels composants nocifs dans les produits cosmétiques et d’hygiène bucco-dentaire.

Interrogez les fabricants directement et décryptez leur site

Notre conseil : Prenez le temps de vous informer avant de conseiller vos patients sans les affoler.

En conclusion, l’hygiène bucco-dentaire “verte” progresse avec une tendance vers plus de naturalité et sobriété, comme toutes les catégories de l’hygiène-beauté. Le bio reste minoritaire en parts de marché en valeur, mais avec une croissance des ventes à deux chiffres. [6].

Ce positionnement, arrivé bien plus tard que dans l’alimentaire, se développe avec une multiplication de petites marques et de nombreux lancements chez les fabricants leaders. Notre rôle est de moduler tous les aspects marketing du bio en conseillant nos patients sur une hygiène bucco-dentaire performante intégrée aux notions de santé environnementale. Si vous vous sentez l’âme d’un créateur, pourquoi ne pas proposer à votre famille ou vos amis votre propre dentifrice bio et naturel car les tutoriels Do It Yourself et ingrédients bio en vrac sont nombreux sur la Toile ? Enfin, last but not least, le geste écoresponsable le plus simple en hygiène bucco-dentaire, c’est bien encore ne pas faire couler l’eau en continu pendant les deux minutes du brossage.

[1] : https://www.cosmebio.org/fr/le-label/
[2] : British Dental Journal, vol 224 p 697-700 ; Charcoal-containing dentifrices, Linda H. Greenwall-Cohen et Naim H.F. Wilson
[3]: https://www.quechoisir.org/comparatif-ingredients-indesirables-n941/liste/dentifrices-sci201
[4] : 60 Millions de consommateurs hors-série La crème des cosmétiques (janvier-février 2021)
[5] : https://dentifrice-infoconso.agirpourlenvironnement.org/categorie-dentifrices_bio/
[6] : IRI (2019)

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